Je suis un être spirituel. C’est-à-dire que j’essaie de marcher, avec le plus de conscience possible, un chemin qui questionne ce que c’est d’être humain. Je n’ai rien à vendre, personne à convaincre, je ne suis associé à aucun dogme, je n’ai aucun maître, je n’ai pas vraiment de pratique, en fait, sinon que d’essayer d’être le plus cohérent avec moi-même.
C’est un chemin qui n’est pas facile à nommer ni a faire comprendre aux autres. Quand vient le temps de mettre des mots, je bute souvent. Comment parler de cet univers et des activités qui l’accompagnent, au-delà des clichés et des étiquettes?
« Connaissance de soi »? Ça me semble manquer de panache. « Spiritualité contemporaine »? Trop intellectuel. « Croissance personnelle »? Ça me donne de l’urticaire. « Travail sur soi »? Pas très sexy. « Scène psychospirituelle »? Un peu trop abstrait.
Le choix des mots pour me faire comprendre est important, car trop souvent je sens que l’on interprète mal les motivations derrière mes démarches: « Il se cherche, il doit être en crise, pauvre lui. » On s’inquiète que je sois perdu, on a peur que je veuille endoctriner tout le monde. Mais non. Ou alors on en rigole en faisant allusion à tout ce qui semble cliché de cet univers, mélangeant la psychopop avec le nouvel âge, les gourous avec les chakras. Et alors là, je dois parfois leur donner raison.
Il est vrai que ce terrain est propice aux blagues en tout genre, aux allusions de toutes sortes. À ceux-là, aux cyniques et aux sarcastiques, j’aimerais pouvoir répondre qu’ils ont tort, que je suis dans une merveilleuse odyssée et que j’embrasse sans jugement le chemin de mes frères et sœurs de lumière (Lumière avec un L majuscule) . Mais c’est faux. Je sature moi aussi parfois d’un excès dégoulinant de bons sentiments, de regard faussement compassionné et de prétention spirituelle.
Je ressens parfois une grande lassitude devant le vocabulaire propre à ce monde : « mon ressenti, ça me fait vibrer, ça résonne, je t’accueille, » et je suis triste que certains mots aient été vidés de leur sens, tant on les a utilisés pour vouloir tout dire : « conscience, énergie, vérité, présence ».
Je n’ai aucune attirance pour les magasins qui sentent la croissance : amalgame olfactif de chandelle parfumée, d’encens indien, d’huiles essentielles et de thé chai, enrubanné dans un sirop musical fait de flûte de bambou et de synthétiseur du siècle dernier.
J’en ai contre l’utilisation abusive du namasté , de la purification par la sauge et de Om Nama Shivaya.
Je deviens frileux lorsque j’entends les mots : terre mère, animal de pouvoir, enfant intérieur utilisé à n’importe quelle sauce.
J’en ai contre : l’abus des symboles qui ne sont pas nôtres : figurine de Bouddha ou de Ganesh, tatouage en sanscrit ou idéogramme chinois, prétextant l’arrivée d’un « nouveau paradigme » pour justifier un mélange bâtard des traditions, amalgame improbable d’hexagramme du Yi-King, de capteur de rêve, de kirtans-cacao et d’images d’Alex Gray; Ceux qui croient soudainement détenir la vérité parce qu’ils méditent avec une app d’Eckhart Tolle et portent un kit de yoga, qui me disent comment il faut respirer, et interviennent sur ma façon de gérer mon bac vert; La fureur thérapeutique de ceux qui se jettent sur moi pour me faire un soin si je me sens triste ou fatigué; L’utilisation abusive du terme « médecine » pour décrire l’usage de plantes et autres éveilleurs de conscience, quand il s’agit de justifier ses addictions sous prétexte spirituel; Les maîtres Reiki qui n’ont en réalité fait qu’une fin de semaine d’introduction à Val-David; Tout ce qu’on fait parce que ça se veut « tribal » : boire du maté avec une bombilla, porter un nom spirituel avec plein de consonnes, s’asseoir au sol; Les confus qui mettent dans le même bateau : chansons de Nako Bear, théorie de la terre plate, présence d’intra-terrestre, bitcoin, sons binauraux et citation de Thich Nhat Hanh. N’importe qui qui se déclare lui-même chaman. Tous ceux qui ne savent pas jouer du djembé, mais qui en joue pareil.
Je m’égare, je sais. Mais ça fait du bien. Je sais que j’exagère, que je suis dans le jugement. Je sais que je suis moi aussi porteur de certaines de ces aberrations, je sais que je tombe moi aussi dans les pièges du romantisme spirituel. J’en suis conscient. Tout comme je sais que je suis parfois frustré, amer, jaloux, envieux, colérique, rempli de paradoxes et de contradictions.
Parce que je suis un être humain. Et parce que je sais tout ça, je crois que ça fait aussi de moi un être spirituel. Et j’embrasse tout ça, avec une grande bienveillance.
Je respire et je m’accueille. Namasté.